Et Tataquipique n'aime pas trop être stagiaire.

Tataquipique est en stage depuis un an dans le même établissement. Elle a appris à sourire, à avoir un gentil mot pour tous, parce que Tataquipique aime beaucoup que les gens l'apprécient. En même temps, ça l'agace un peu, d'aimer beaucoup que les gens l'apprécient. Parce que ça l'oblige à sourire et à avoir un gentil mot pour tous. C'est fatigant, d'être agréable.

Tataquipique s'est dit qu'elle devrait peut-être arrêter d'être gentille avec des gens qui ne remarquent même pas que sa chevelure morte a fait place à une coupe structurée et branchée. Tataquipique avait pourtant passer du temps ce lundi matin, pour que ses cheveux resplendissent et que les gens se pâment sur son passage. Tataquipique est très déçue, du coup.

Tataquipique a fait un rapide croquis pour montrer ce qu'elle attendait de ses collègues.

Tataquipique partage son bureau avec Claudine. Tataquipique a été très surprise d'apprendre que la-dite Claudine, qui pourtant porte un nom de nourrice cinquantenaire, n'a que 28 ans.
En discutant au fil des mois avec Claudine, Tataquipique a découvert plein de choses sur Claudine : d'abord que son mètre soixante-cinq de tour de hanche était principalement le résultat d'un célibat mal vécu, que son hymen était toujours intact, que son travail la faisait exister. Tout ceci expliquant les 90 heures supplémentaires de Claudine en décembre dernier. Tataquipique a d'emblée soupçonné que Claudine sauterait sur l'occasion de son stage pour se faire croire qu'elle était importante.

Tataquipique est souvent perspicace.

Claudine prend un plaisir non dissimulé à dénigrer Tataquipique devant l'ensemble des collègues. Ce que Tataquipique n'aime pas du tout. Mais alors pas du tout. Vraiment. J'insiste.

Tataquipique n'est pas très très bien, quand Claudine est dans le coin.

Mais ça, c'est depuis que Claudine a une sexualité. Parce que Claudine a rencontré l'amour. Le vrai, le grand, le merveilleux amour. Depuis deux semaines.

Ainsi, depuis deux semaines, elle est une vraie femme. Tataquipique a trouvé ça un peu pathétique, que l'ensemble des collègues soit au courant de son récent dépucelage, mais elle s'est bien gardé de le dire.

Du coup, depuis que son prince charmant dégoté sur internet est entré dans sa vie, Claudine a beaucoup évolué.

Claudine, vierge, était tout à son travail.

Depuis, Claudine a épilé sa moustache et croque la vie à pleine dents.

Tataquipique sent bien que Claudine, qui a enfin vu le loup, a pris une grande confiance en elle. Et Tataquipique sait que quand une femme qui se sent nulle, moche et grosse se fait soudainement harponner, elle a tendance à croire que le monde lui appartient.
Y compris la stagiaire.
Qui devient un exutoire.

Tataquipique n'aime pas du tout être un exutoire. Mais alors pas du tout. Vraiment. J'insiste.

Tataquipique a encore quatre semaines de stage, plus deux jours. Elle a commencé à faire des petits bâtons sous son bureau (celui en face de Claudine). Quand Claudine lance une croquette à Tataquipique en lui criant "VA CHERCHER !", Tataquipique sert fort sa poupée vaudou dans sa main, pour ne pas planter une fourchette dans la gorge de Claudine.
(Tataquipique aime imaginer les fourchettes dans les gorges.)

Tataquipique ne veut pas enfoncer une fourchette dans la gorge de Claudine. Déjà parce que Tataquipique n'a pas une passion dévorante pour l'hémoglobine, mais aussi et surtout parce que son casier judiciaire est comme Claudine : plus il est vierge, mieux c'est.

Tataquipique est stagiaire.

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